Dans le monde du travail, “jeunes et plus âgés se disent confrontés à un étonnant problème: le manque de reconnaissance”
des sociologues expliquent le changement de regard sur le travail en menant une étude  intergénérationnelle

Travaille-t-on aujourd’hui comme travaillaient nos grands-parents ? Quels impacts l’évolution du monde professionnel a-t-elle eu sur la vision du travail au fil des générations ?
Dominique Méda, professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine et directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Irisso), et Patricia Vendramin, professeure de sociologie à l’université catholique de Louvain, en Belgique, ont observé ces changements depuis les années 2000.
Existe-t-il des attentes particulières à l’égard du travail en fonction des générations ? Oui

  • Dans nos enquêtes, les jeunes (moins de 30 ans) demandent davantage de protection sociale et des salaires plus élevés, mais aussi plus de liberté et d’opportunité de développement personnel.
  • La génération du milieu (de 30 à 50 ans) réclame plutôt un soutien de la société et de l’entreprise pour mieux concilier travail et famille. Ils réclament également des mesures en termes de formation continue, dans une perspective d’allongement de la vie active, car ils sont conscients d’être « les futurs travailleurs âgés ».
  • La génération plus âgée (plus de 50 ans) attend, quant à elle, une meilleure reconnaissance de l’expérience, mais aussi une adaptation des conditions de travail compatible avec le vieillissement.

Les jeunes et les plus âgés se disent confrontés au même problème. Les jeunes se sentent sous-évalués au regard de leur effort de formation et les plus âgés se sentent sous-évalués au regard de leur expérience. D’une manière générale, la valeur de l’expérience dans le monde du travail a diminué ces dernières années au profit de l’innovation, associée à la jeunesse.

La génération du milieu est la plus « invisible ». Elle se sent souvent menacée, d’une part, par la dérégulation croissante du marché du travail et, d’autre part, par son déficit de nouvelles compétences par rapport aux jeunes travailleurs. Cette génération est donc un peu envieuse à la fois des collègues plus âgés, qui bénéficient encore de plans de préretraite, et des collègues plus jeunes, plus à l’aise dans la société flexible et numérique.

Quelle est la génération pour laquelle le changement dans le rapport au travail est le plus important ?
Ce sont les jeunes. Ils se sont investis dans les études, sont plus demandeurs et ont des attentes plus élevées en termes de développement personnel à travers le travail. Ils sont plutôt passionnés par rapport au travail et ils ont par conséquent des attentes élevées en ce qui concerne leur emploi, tout en accordant une grande importance à d’autres choses dans leur vie.
Les jeunes ont moins peur de l’instabilité que les générations précédentes
La jeune génération confirme l’évolution vers une conception « polycentrique » de l’existence, c’est-à-dire une conception de la vie et un système de valeurs organisés autour de plusieurs centres : le travail, la famille, les relations amoureuses, les loisirs, l’engagement, etc.
Les jeunes recherchent une cohérence entre le travail et la vie en termes de sens et de valeurs, ce qui les amène, relativement souvent, à préférer l’insécurité dans un emploi qui a du sens plutôt que la stabilité dans un travail qui n’en a pas. Ils ont moins peur de l’instabilité que les générations précédentes.
Cette évolution peut s’expliquer par différents éléments, dont un niveau d’instruction plus élevé, une plus grande volonté chez les jeunes hommes – par comparaison avec leurs homologues plus âgés – de limiter l’impact du travail avec l’arrivée d’un premier enfant, le refus de reproduire un modèle parental centré exclusivement sur le travail, les désillusions liées aux phénomènes de déclassement.

Toutefois, d’un point de vue global, les jeunes ne se distinguent pas des autres générations en ce qui concerne l’importance accordée au travail. Ils lui accordent au moins autant d’importance et souvent plus que leurs aînés.

Comment les deux générations plus âgées considèrent-elles cette jeune génération ?
Selon elles, la différence principale s’exprime en termes de « motivation » : les jeunes travailleurs manqueraient d’initiative et d’enthousiasme dans leur travail et leur intérêt pour le travail serait essentiellement instrumental.

Leurs arguments s’articulent autour de deux axes. Le premier concerne les changements culturels : l’éducation, le confort des politiques sociales, les changements de valeurs. Le second axe touche au « contrat psychologique » qui relie l’entreprise et les salariés.
Les jeunes travailleurs doivent vivre dans le court terme et l’insécurité, ils doivent dessiner eux-mêmes leur trajectoire professionnelle. Dès lors, ils n’ont pas la même loyauté envers l’employeur – ce que les salariés plus âgés interprètent comme un déficit de motivation.

Lorsqu’ils parlent de leur insertion, les travailleurs âgés interrogés disent, en effet, qu’il était facile d’avoir une carrière, quel que soit le niveau d’éducation ou de qualification. Aujourd’hui, ils constatent la perte de prestige du diplôme, la flexibilisation du travail, etc. L’entrée dans le travail leur apparaît de plus en plus individualisée et hasardeuse.
La plupart des trajectoires des travailleurs âgés se sont construites dans des entreprises communautaires, tandis que les jeunes travailleurs arrivent sur le marché du travail avec une conception de l’organisation plus ouverte

Pour aller plus loin:

L’autre message en filigrane dans le titre consiste à dire: “si la reconnaissance du travail ne se traduit pas seulement en monnaie sonnante et trébuchante, la rémunération en revanche constitue une forme essentielle de la reconnaissance… Elle n’est pas que l’un des ingrédients du contrat de travail, elle est bien plus que cela et le regard du sociologue est alors très précieux”

extraits: Le Monde La Matinale.    http://le monde.fr